BELHARRA : 24H DANS LA VIE D’UNE VAGUE MONSTRUEUSE



Récit d’une journée à Belharra lors du plus gros swell, 2014.

Il est difficile de décrire l’émotion générée par les instants magiques. Habituellement, nous les gardons dans nos têtes. Aujourd’hui, je vous livre mon ressenti après une journée passée sur un bateau, face à Belharra, une vague de quinze mètres générée par la tempête Hercule. J’espère que ce reportage, au cœur de l’action, apportera une vision plus juste de ce que représente l’exploit des surfeurs ce jour-là. Comparer uniquement la hauteur des vagues en s’appuyant sur des photographies prises au téléobjectif banalise ces aventuriers…

21H30, 6 janvier 2014, désespéré, je reçois un septième SMS : « Salut JC, RDV demain 7H15 port de Ciboure, soit à l’heure. Aloha »

Bingo ! Ce SMS était ma dernière piste. J’ai une place sur un bateau pour photographier un des plus gros swell au large de Saint Jean de Luz et Socoa sur la côte Basque. Une vague géante qui ne fonctionne que rarement et qui se forme sur un haut fond à trois kilomètres du bord.

Urgence : Préparer mon matériel, charger quatre batteries, inspecter mes cartes mémoires et faire tenir le tout dans  mon sac photo.

0:30 Maintenant, il va falloir dormir. Lever prévu à 5:15 et je suis excité comme un enfant la veille de Noël. Une tachycardie qui se régule de minute en minute. Je consulte une dernière fois  quelques images de Belharra pour m’assurer des prises de vues à ne pas manquer et me glisse sous ma couette avec ma BD du moment.

5:00 je n’ai pas beaucoup fermé l’oeil. Même le réveil dort encore, et n’a pas eu le temps de sonner. Tant mieux, sa sonnerie matinale me rappelle l’école et m’insupporte.

Le compte à rebours est lancé : Café, douche, café, internet, café, lavage de chicots & direction la voiture. Bonne nouvelle, il fait déjà bon dehors.

6:20 Direction Ciboure par l’autoroute. Je croise un VW T5 qui tracte un jet ski, rescue sled et des cordes. Je ne me suis pas trompé de jour. Dans ma tête tout va très vite et mes idées se brouillent.

7:00 Arrivée au port de Ciboure, il fait encore nuit. L’équipage est là. Le bateau aussi, c’est un white shark. (pour aller se frotter à la bête). Il y a déjà une quinzaine de personnes au petit port et l’on peut entendre plusieurs nationalités.

Je connais peu de monde et m’amuse à deviner qui me serre la main. Un pilote ? Un surfeur ? Un pote d’un pote ? Un photographe ?

L’ambiance est zen, décontractée mais on sent que le jour est spécial. Sur le ponton, les guns (grandes planches de surf) s’entassent entre les valises des photographes et les gilets gonflables de sécurité. Les premiers soucis arrivent, un jet a des ennuis. Il paraît que les plus belles journées de surf commencent souvent avec des ennuis. Je suis (presque) rassuré.

7:40 La nuit se dissipe lentement.

8:00 Nous décollons. J’attendais ce moment avec impatience. Belharra pourrait ne revenir que dans deux ou trois ans. On me conseille de mettre toutes mes affaires à l’abri. Le bateau s’éloigne du quai, avec six personnes et deux jets qui nous suivent. J’ai pris place devant, la plus mauvaise (face aux embruns). Nous sortons facilement du port et Belharra est déjà visible. Vu d’où nous sommes, c’est une grosse mousse.

08:30 Le lever de soleil est magnifique. Il nous rappelle que nous vivons dans un lieu d’exception. La vague est désormais proche de nous, il règne une ambiance quasi mystique et nous sommes les premiers arrivés sur zone.

09:00 Belharra est encore une jeune fille, douce et apaisée. Des jets ski arrivent au loin. Le ronronnement des moteurs s’amplifie et les commentaires fusent : « Voilà le portugais » ou « Les gars, Jamie arrive ».

Les protagonistes sortent les cordes qui serviront à les tracter. Discussion : Quelle taille fera Belharra aujourd’hui ?

09:30 Une série vient de passer. Plus grosse que les autres. Un son assourdissant. Cela me rappelle Tahiti et le son de la houle qui s’écrase sur le reef à Opunohu. Quelle taille faisait cette vague ? Est-ce un gros Belharra ? Le surfeur à côté de moi me sourit et répond :   « En descendant, ça va doubler » .
Bordel, doubler ? ! ? ???

La vague commence à ronfler.

10:00 Nous sommes maintenant trois bateaux et une dizaine de jets. Je me demande comment tout ce petit microcosme s’organise. Pour un novice du surf de gros, c’est une vraie découverte. Un monde à part. Des petites fourmis de partout.

10:30 Gibus de Soultrait est venu en ramant depuis le port de Ciboure dans une eau à douze degrés.

Parfois, Bixente Lizarazu discute avec notre pilote depuis son bateau et repart se positionner. Toujours bien placé pour observer son frère, il connaît parfaitement Belharra.

J’aperçois Pilou Ducalme, Shane Dorian, Benjamin Sanchis, Justine Dupont. Entre les séries, nous discutons. La vague couvre nos paroles.

11:30 Des cris éclatent, Shane Dorian vient de shooter Belharra à la rame. D’autres vont suivre. Une folie. Les surfeurs tractés s’arrêtent pour laisser place à ceux qui tentent de dompter le monstre à la rame.

Premières vagues à la rame à Belharra !

13:00 La marée baisse et Belharra se renforce. Certaines vagues dépassent les dix mètres. On m’assure que cela grossira encore. J’ai du mal à croire ce que j’entends (ou je préfère ne pas le savoir…).

Notre pilote est précis et expérimenté. J’ai moi-même un permis bateau, suis surfeur et sportif mais cela ne m’empêchera pas de prendre peur. Nous sommes à quelques dizaines de mètres du monstre et subissons aussi ses terribles remous.

13:30 Bien que l’ambiance soit détendue, chaque bateau essaie d’être au plus près de la scène. Les pilotes se placent au mieux pour que nous puissions prendre nos photos sans être gênés. Forcément, il y a une limite (naturelle) à ce jeu, celle du peak… Notre pilote est expérimenté, il gère le bateau à coup de gaz, au mètre prés

13:45 La vague est énorme. C’est un cauchemar réel. Elle prend en taille sans cesse. On ne se croirait pas en France.

14:00 En milieu de journée les plus gros sets arrivent. Certaines vagues approchent une quinzaine de mètres. Dans le milieu, j’apprends qu’au-delà de dix mètres, on ne compte plus. On dit « C’est gros ». Un point c’est tout. Le reste c’est pour le journal de TF1. Ici, les mecs se font plaisirs.

Parfois, tu vois un surfeur à la rame essayer de prendre un monstre. A ce moment-là, je vous jure ça m’est arrivé, tu te dis vu d’en bas : « Non, mec fais pas ça. Attends la prochaine. C’est trop gros là… »

15:00 Rico Leroy pilote un jet en attendant son tour. Il sourit. Je me demande à quoi il pense et comment on peut sourire dans ces conditions.

Belharra c’est un vrai chantier. Tout le monde s’agite de partout mais chacun sait ce qu’il doit faire.

J’en profite pour souligner la grande maîtrise et l’engagement des pilotes de ces jets ski. Assez mal vus dans les médias (bruyant et inutiles), ici ils sont indispensables et ont un rôle primordial de sécurité. Pour faire leur travail au mieux, ils doivent être au plus près du surfeur et donc de la vague.. Respect les gars !

Quand une vague grossit, les engins motorisés ont quelques secondes pour évacuer. Quand un gros set arrive, les jets de sécurité doivent fuir vite…

15:30 Les séries sont espacées. Vingt minutes parfois. Un train de trois vagues dont les dernières sont les plus impressionnantes car les premières lissent le plan d’eau et donnent encore plus de perfection aux suivantes.

Quand les séries sont gigantesques, tu photographies la première vague sans voir ce qui arrive derrière. Tu découvres la seconde vague d’un seul coup. C’est une sensation plutôt désagréable mais excitante. Probablement une question d’habitude.

16:00 Bien que beaucoup aient réalisé des exploits de jour-là, les plus grosses bombes reviennent à Peyo Lizarazu. Pendant quelques temps, il n’arrête pas de scorer. Tu comprends alors l’importance de connaître la vague.

Certaines mauvaises langues diront qu’il est chez lui et qu’il a une certaine « priorité ». Probablement. Mais moi, la priorité, je la lui laisse à Belharra…. 🙂

16:30 Pendant ce temps le pilote de mon bateau Rico Leroy envoie aussi du gros sur la vague. Du coup, c’est ridicule, mais en les voyant piloter le jet-ski avec aisance, je me suis senti en sécurité sur son bateau 🙂

17:00 Du large, on peut distinguer les scintillements des voitures sur la corniche d’en face. On imagine tout ce petit monde garé en bord de route et qui tente d’apercevoir le monstre. Dans ces moments là, on se se sent privilégié.

Belharra fatigue les hommes mais le matériel aussi. Il aura suffi d’une seule grosse vague pour casser six planches. Quand on voit la taille et l’épaisseur de ces planches, on imagine la pression qui s’est abattue dessus…

17:15 Nous quittons Belharra, presque de nuit. Premiers arrivés, derniers parti. Un pincement au coeur. Belharra fonctionne encore. Nous entendons les séries se fracasser comme on détruirait un immeuble.

17:30 Retour au port de Ciboure dans la même pénombre que celle du matin.

Belharra atteignit une quinzaine de mètres ce jour-là. Les surfeurs attendaient plus. Pour ma part, j’étais satisfais, croyez-moi. Je suis resté pratiquement dix heures sur l’eau à me faire secouer, sans manger ni boire (je n’avais rien prévu novice que je suis).  Un petit mal de mer en option pendant deux heures. Si on ajoute des bons moments de stress quand les séries gonflent, je vous jure que c’est épuisant… Alors imaginez les surfeurs à l’eau…Merci à tout l’équipage, à Quentin Marty et Lee Ann Curren sans qui je n’aurais pu vivre cette journée, merci à  Benoit Brecq qui a supporté mes peurs et m’a répété toute la journée « C’est bon JC, on passe…On passe… ».

Article originel publié à cette adresse.

Un énorme merci à Rico Leroy, propriétaire du bateau qui m’a offert un moment inoubliable ce 7 Janvier 2014. Big Up à tous.
A venir prochainement : une exposition de photographies jamais diffusées de Belharra ! Suivez moi sur instagram pour être alerté  : https://www.instagram.com/mon.vilain/