The Rider Post | 21 avril 2016 Première mondiale : Franck Cammas passe le Cap Horn sur un catamaran à foils ! Foilboard Water Pour tous les marins, passer le Cap Horn est un challenge, une véritable épopée. Franck Cammas, skippeur du Groupama Team France s'est lancé le pari fou de contourner le mythique Cap sur un catamaran à foils : le Nacra. En plus de réaliser un exploit, il valide une première mondiale. Retour sur une aventure hors du commun. "Naviguer est une activité qui ne convient pas aux imposteurs. Dans bien des professions, on peut faire illusion et bluffer en toute impunité. En bateau, on sait ou on ne sait pas." Eric Tabarly © Jérémy Bernard – Franck Cammas contourne le Cap Horn à bord du Nacra Franck Cammas, la légende Chaque année, la marque française de lunettes de sport Julbo, organise des sessions sportives permettant à des passionnés amateurs de vivre une aventure sportive avec un pro. C'est le légendaire Franck Camas, vainqueur de la Route du Rhum, de la Volvo Ocean Race et de la Petite Coupe de l'America, qui a été choisi pour mener l'aventure Julbo Sail Session. Partenaire de Cammas depuis plus de 17 ans, la marque a de nouveau travaillé main dans la main avec le talentueux skippeur. Car Franck, en plus de détenir un palmarès impressionnant de récompenses, a aussi beaucoup à partager. © Jérémy Bernard – pause café avant les 10h de navigation en eaux gelée. © Jérémy Bernard – Mise à l'eau du Nacra, le catamaran à foils. Cette aventure a néanmoins failli ne pas avoir lieu, car quatre jours après le trip, Franck a été gravement blessé au pied lors d'un entrainement de préparation pour la Coupe de l'América, en baie de Quibéron. Opéré en urgence d'une double fracture tibia-péroné fin novembre, peu après son retour du Cap Horn, la chance lui a sourit, puisqu'aucun nerfs, tendons ou artères n'ont été endommagés. Même si Franck doit dire adieu aux JO de 2017, sa participation à la 35ème Coupe de l'America est toujours d'actualité. Quoi qu'il en soit, Franck a été en mesure de réaliser l'un de ses grands buts : "J’ai trois rêves, le premier s’est réalisé, c’était de gagner la Volvo Ocean Race. Le second, c’est de faire la Coupe de l’America et nous y travaillons activement avec mon équipe. Mon troisième rêve serait de passer le Cap Horn sur un catamaran volant" © Jérémy Bernard – Le légendaire Cap Horn Léviter au dessus de l'eau Les catamarans volants et en l'occurrence le Nacra, grand héros de la Julbo Sail Session, ont tout de la technologie de pointe et des performances extrêmes. "Ils sont plus dangereux que des bateaux qui vont moins vite et qui font le tour du monde par exemple. Ces bateaux volants peuvent occasionner des blessures physiques. Après, le plus grand risque, lorsque tu fais du bateau, c'est de tomber à l'eau et de te noyer. Et tomber à l'eau avec d'autres bateaux à foils qui arrivent derrière, c'est chaud ! Cela ressemble aux risques que connaissent les pilotes de voiture." raconte Franck. Voiture, avion de chasse, Formule 1, ces bateaux sont aussi techniques à construire et piloter qu'un Rafale. Grâce à un équipement spécifique, en l’occurrence, des foils, ces bateaux survolent l'eau. On dit même qu'ils volent… The Rider Post s'est rendu au centre nautique de Lorient, pour tester le Nacra en compagnie du très célèbre et talentueux Franck Cammas. La technologie futuriste du foil Un foil est similaire à une dérive, une aile. Le terme foil vient de l'ancien français « feuille ». Ces ailes sous-marines, qui fonctionnent de la même manière que les ailes d'avion de ligne, permettent de s'affranchir du principe d'Archimède et d'extraire le bateau de l'eau, à partir d'une certaine vitesse (environ 10 nœuds). Explication de la poussée d'Archumède par "On est pas que des cobayes" Le foil créé une différence de pression dans l'eau, entre le dessus et le dessous de l’aile. Une force verticale se créer, le bateau est happé vers le ciel (ou repoussé de la mer) et ne flotte donc plus mais vole. C'est ce qu'on appelle la portance. Plus la vitesse du bateau augmente, plus la portance est grande, c'est-à-dire que plus le bateau va vite, plus il foil, ou « vole ». Ce même principe s’applique aux avions de ligne dans lesquels nous voyageons. Les foils ont été inventé afin de réduire le frottement de l'eau et des vagues et donc, d'augmenter considérablement la vitesse du bateau. Ces foils sont soumis à des pressions deux fois supérieures à celles exercées sur les ailes des avions de chasse. Fait de fibres de carbone imprégnées d’époxy (résine ultra-résistante), ils révolutionnent complètement le monde de la navigation et plus généralement, de la voile. Car les bateaux alternent la navigation maritime avec le pilotage aérien. Nos marins deviennent, l'espace de quelques minutes, de réels pilotes. « Comme il ne pouvait contrôler ni le vent, ni la femme, l’homme inventa les voiles. » © Jérémy Bernard – Franck Cammas et Yohanes Wiebel en action au Cap Horn pour la Julbo Sail Session Le Nacra de Franck Cammas Le Nacra F20 Carbon FCS (Flying Control System) de Franck est un catamaran de petite taille, une version miniature des mastodontes concourant à la Coupe de l’America. Equipé de plusieurs foils, il mesure seulement 6,20 mètres de long pour 3,20m de large. Entièrement composé de carbone, son poids ne dépasse pas les 160 kg. Il est considéré comme le Graal des catamarans dit « volant » car il atteint facilement les 30 noeuds (55 km/h) en vitesse de pointe. Bijou de technologie, ce bateau se pilote comme une voiture de course, tout comme il se pense en amont, lors de sa fabrication: " Le développement, c'est 50 % de la performance " précise Cammas. Et c'est ce bateau que Franck a choisi pour passer le Cap Horn, faisant d'une pierre deux coup : une fantastique aventure Julbo ainsi qu'une « World First ». « J'avais besoin de vacances, après l'accident et tout ça. Et puis je me suis dit que je voulais aller au Cap Horn. Je l'ai passé plusieurs fois, mais je ne m'y suis jamais vraiment arrêté pour visiter. » nous dit Franck. Et c’est grâce à cette curiosité que Franck est le premier marin de l’histoire, à avoir franchi le Cap Horn en catamaran volant. Franck Cammas La Julbo Sail Session C’est l'Allemand Yohanes Wiebel, 35 ans, architecte résidant à Munich, qui fut choisi pour naviguer avec Franck à l'autre bout du monde, et réaliser une première mondiale : franchir le Cap Horn à bord du Nacra volant. « Il sera le premier catamaran à foil à passer le Cape Horn » précise Yohanes. « Le Cap Horn est un endroit vraiment spécial. Tous les marins vous diront que c’est le cap légendaire de l’hémisphère sud. C’est l’un des caps les plus exigeants du monde » continu t-il. "Celui qui attend que tout danger soit écarté pour mettre les voiles, ne prendra jamais la mer." Thomas Fuller © Jérémy Bernard – Yohanes Wiebel, coéquipier de Franck © Jérémy Bernard © Jérémy Bernard – Le duo en excursion au Cap Horn 21 novembre 2015. Dans le milieu hostile qu’est la Patagonie, le voilier de 67 pieds Xplore veille sur le binôme, prêt à quitter Puerto Williams sur le petit Nacra. Nous nous trouvons à l’extrême sud du continent Américain, sur un bateau volant non habitable, où les tempêtes dérivées de l’Antarctique apportent leur lot quotidien de vents violentes et glacés. L’équipe dispose de 10 jours pour relier Puerto Williams à Puerto Torro, les autorités locales et les conditions météorologiques ne permettant pas de s’étendre plus longtemps. « Les autorités chiliennes ont compliqué les choses, nous dit Cammas. Ils refusaient de nous laisser partir, ils nous ont prit pour des fous quand on leur a dit qu’on souhaitant faire le tour du Cap Horn avec le catamaran ! » © Jérémy Bernard ` © Jérémy Bernard – Franck Cammas et Yohanes Wiebel en pleine lecture de carte avant la navigation « Le Cap Horn est un détail sur une carte et les hommes en ont fait une légende. Des milliers de bateaux se sont naufragés dans ces eaux et la légende s’est installée petit à petit » raconte Denis Chevallay, spécialiste de la Terre de Feu (Chili). Le Cap, réputé pour être le cimetière marin du globe, connaît des conditions extrêmes de navigation, que Stephen Wilkins, capitaine de l’Xplore connaît relativement bien : « Le vent peut varier de 5 nœuds (9km/h) à 120 nœuds (220 km/h). C’est extrêmement rude, c’est même féroce ». © Jérémy Bernard – Cap Horn, le cimetière des navires. "Le pessimiste se plaint du vent, l'optimiste espère qu'il va changer, le réaliste ajuste ses voiles." William Arthur Ward © Jérémy Bernard Une fenêtre d’accalmie permet au duo de se lancer, après plusieurs jours d’attente. Une fois le mythique Cap contourné, une tempête pointe à l’horizon, condamnant Franck et Yohanes à naviguer 10 heures d’affiler, pour échapper au danger et finalement accoster sains et saufs à Puerto Torro. « Je suis crevé mais super-heureux. C’était totalement fou ! C’est une expérience unique dans une vie » raconte Yohanes à la caméra de Sébastien Laugier. Un challenge extrême donc, mais une aventure humaine, entre partage de passions et découverte de l’autre : « Au-delà du rêve d’un marin classique qui a déjà vu beaucoup de chose, emmener quelqu’un qui rêve de découvrir ce genre de région, de vivre ce genre d’expérience, c’est une façon de partager encore plus sa passion » nous intime Franck Cammas. © Jérémy Bernard – L'équipe au grand complet fête leur victoire sur le navire Xplore. Julbo Sail Session au Cap Horn – Le film. Une traversée épique, où le Nacra a montré sa force et sa robustesse. « Une aventure vraiment top et réussie ! Ce n’est pas gagné en 10 jours d’avoir des fenêtres pour un bateau comme ça pour aller au Cap Horn. C’est mon troisième passage, c’est très rare de le faire avec de si petits bateaux » raconte Franck Cammas à son retour à terre. Ce nouveau genre de catamaran est en constante évolution, affichant des performances similaires aux Formule 1. L’arrivée des foils et autres voiles rigides dans le domaine de la navigation bouleverse et redéfinit le monde de la voile de compétition. Des bateaux du futur, qui très vite, feront entière partie de notre quotidien de marin… "Quand on a accompli quelque chose d'heureux en mer, petite croisière ou grand raid, Cap Horn ou îles d'Hyères, c'est d'abord parce qu'on a évité de faire ce qu'il ne fallait pas faire. C'est ensuite parce qu'on a fait ce qu'il fallait faire. C'est enfin parce que la mer l'a permis." Jean-François Deniau TRP