The Rider Post | 30 mars 2016 Peut on considérer l’ultra-trail comme un sport extrême ? Dirt Trail Le samedi 19 mars dernier se courrait en Ile de France un rendez vous bien connu des pratiquants de trail long et d’ultra-trail : l’Eco-Trail de Paris. Des épreuves dédiées à l’endurance et ouverte à tous, déclinée en 3 courses, le 30 km, le 50 km et le 80 km. Dans l’univers de la course, c’est à partir de 40 km qu’on parle de Trail long, quant aux Ultra Trails, il faudra parcourir au moins 80 km pour rentrer dans cette catégorie extrême. Pour la première fois, je décidais donc de m’attaquer à l’un de ces challenges en choisissant directement le 50 km, une distance qui me semble réalisable et suffisamment conséquente pour répondre à ces questions: peut-on considérer le trail comme un sport extrême et accessoirement, jusqu’ou mes jambes et surtout ma volonté sont-elles capables de me porter ? Comme beaucoup de novices en longue distance, je n’imaginais pas les efforts que cette épreuve allait demander. A vrai dire, tant qu’on ne participe pas à ce genre de course on ne se rend pas compte de la difficulté qu’elle suppose. Avant tout, je dois me présenter. J’ai 39 ans, je fais du sport régulièrement (au moins une fois par semaine), j’adore l’activité physique et les sensations fortes en général (surf, skate, snow, VTT, slackline…), ça c’est pour les points positifs ! Concernant mes points faibles, je passe beaucoup de temps à travailler, j’ai donc peu de temps pour bouger mon body, je ne fais pas spécialement attention à mon alimentation et je suis fumeur. Bref, ce n’est pas gagné d’avance ! Il a donc d’abord fallu se préparer. Une préparation que j’ai étalée sur 2 mois et demi avec un super programme : au moins 4 entraînements par semaine, 1 grosse sortie tous les week-end et une montée en puissance au fil des jours. Sur le papier, j’allais tout défoncer ! Malheureusement la réalité du temps qui passe allait mettre à mal mon beau programme et entre la vie professionnelle et la vie de famille, je n’ai pu que courir 2 fois par semaines pendant 1h à 1h30. Cependant, 3 semaines avant la date fatidique, je me suis motivé : si je ne m’entraîne pas sérieusement, ça ne sert à rien d’y aller ! Alors pendant 10 jours j’ai été très sérieux : au moins 5 sorties par semaines, diminution des clopes, alimentation plus saine. Le résultat a été immédiat : moins de douleur dans les jambes, plus d’endurance et presque du plaisir à courir. A 1 semaine de la course, je me suis même décidé à tenter une vraie grosse sortie : équipé de mon sac de trailer, de ma tenue complète Odlo et de mes nouvelles baskets Merrell, j’ai couru plus de 25 km en un peu plus de 2h30. C’est beau ou pas ? Et ben non, ce fut une très mauvaise idée. En quelques heures, je me suis abimé le talon, fait des ampoules et compressé le pied. Au final j’ai gâché ma dernière semaine d’entraînement avec cette sortie trop ambitieuse. Mais je n’allais pas renoncer à 6 jours de la date fatidique. J’ai donc profité des derniers jours pour compléter mon matériel technique et obtenir un max d’information sur la gestion de course. Du matériel, il en faut, car un trail n’est pas un simple footing et l’organisation exige un minimum de choses : jogging, haut technique, k-way, chaussures adaptées, sac léger avec poche à eau, couverture de survie, sparadrap et bande de renfort musculaire, barres énergétiques, gobelet… Attendez vous à partir avec au moins 2 à 3 kilos sur le dos. Les chaussures ont entraîné une grosse réflexion car les baskets avec lesquelles je m’entraînais sont idéales pour la course sur route, mais ne conviennent pas pour courir en forêt – manque d’accroche. On m’a passé des Merrell ALL OUT TERRA LIGHT, conçues pour ce genre d’épreuve, le problème est que je me suis très peu entraîné avec. J’ai donc attendu la veille de l’épreuve pour prendre ma décision : en fonction de la météo j’utiliserai sois mes Nike de running soit les Merrell spéciales trail. Et vu qu’ils ne prévoyaient pas de pluie, j’ai finalement opté pour mes chaussures habituelles, un choix qui s’avérera judicieux. Le jour J Le jour de la course est enfin arrivé. Je me suis levé tôt ce matin là afin d’absorber un cocktail de jus de fruits frais, de manger du gâteau sur-vitaminé et surtout de minutieusement préparer mon sac et mon équipement. Ensuite direction le RER C pour se rendre à Versailles dès 9h30 du matin. Dans le train, l’ambiance est donnée, ce sont des centaines de coureurs équipés des pieds à la tête qui envahissent les wagons. Nous sommes près de 1800 participants et nous avons une limite de 9h pour rejoindre la ligne d’arrivée à 50km de là. 50 km, c’est déjà beaucoup, mais quand on rajoute 1 kilomètre de dénivelé positif et 1 km de dénivelé négatif, cette distance passe à près de 70 km car 100 mètres de dénivelés égal 1 kilomètre sur le plat. Autre paramètre important, le terrain. Dans un trail nature on court essentiellement en forêt, concrètement, il faut éviter les flaques, les racines, zigzaguer, monter et descendre sans cesse, autant d’effort qui compliquent la tâche car on ne peut pas se mettre en mode « automatique », c’est à dire se laisser porter par ses jambes en allant tout droit. Il faut être tout le temps concentré pour éviter les obstacles et surtout alterner l’effort des montées, la course et les descentes, qui font travailler des muscles qui m’étaient jusqu’alors méconnus. La première heure de course se passe bien. Il fait froid mais je me réchauffe rapidement. Autour de moi les autres concurrents échangent encore joyeusement. On vient de quitter les alentours du château de Versailles et on sent que les choses sérieuses vont commencer. Je cours doucement en prenant bien soin de m’hydrater régulièrement. Je me suis concocté un mélange d’eau et de poudre isotonique goût orange. Je n’avais jamais essayé avant et je dois dire que c’est plutôt dégueulasse. Au bout de 2h de course, j’ai déjà parcouru près de 20km, et je tente de manger un tube de gel hyper protéiné que je n’avais jamais goûté. Erreur ! Mon corps, pas habitué à ce régime, supporte très mal cette absorption. En 2 minutes je suis nauséeux et je dois m’arrêter pour vomir. Je me sens faible et par 3 fois je suis pris de violents spasmes. Accroupi contre un arbre, je vois les concurrents me dépasser sans rien pouvoir faire. Certain d’entre eux s’enquiert de mon état de santé. On sent un début de solidarité entre compagnons de galère. Après un ultime vomissement, je me sens mieux et repars. En revanche, je prends la décision de ne plus boire une goutte du liquide jaunâtre qui sert à m’hydrater. 3h de course et enfin, j’arrive au bout des 28km au premier ravitaillement. Quel soulagement. Je fonce sur les oranges et prends un bol de soupe bien chaude. Je redécouvre l’effet magique de l’alimentation sur le corps. En effet, on est peu habitué à totalement vider son estomac et à repousser les limites de son corps. Mais au bout de 3h d’efforts, on perd tellement d’eau et d’énergie que l’organisme est ultra réceptif. Un quart d’orange agit comme un coup de fouet. Et une petite portion de soupe salée comme un véritable carburant. Je décide quand même de ne pas m’éterniser et de ne surtout pas m’assoir, c’est donc reparti avec pour objectif le 2ème point de ravitaillement situé au kilomètre 40. Déjà 4h que je cours, jamais je n’ai tenu aussi longtemps. Des douleurs étranges apparaissent dans mes jambes, j’ai des débuts de crampe. Je ne supporte plus les descentes alors que je pensais que c’était mon point fort. Je me fais doubler par des retraités et par des femmes toutes minces auxquelles je n’aurais donné aucune chance avant le départ. Le groupe de départ n’est plus, nous sommes désormais disséminé tout au long du parcours. J’ai la flemme de courir et je commence à marcher. Pire que tout, mes pensées positives s’évanouissent et je commence à trouver des raisons d’abandonner. C’est à ce moment qu’il faut être fort et se motiver. Plein d’idées me traversent la tête pour tenir : quel joli paysage, et si je comptais le nombre d’arbres ? Allez motive toi, je suis mieux ici que dans un fauteuil roulant ! Allez bouge, il faut que tu ailles sauver tes filles et tu ne peux y aller qu’à pied – c’est mon côté super papa 🙂 et puis le classique « tu vas bouger ton gros cul petit salopard » qui marche toujours. Et puis c’est une nouvelle montée qui se présente et au bout de la montée il faut recourir. Je n’en peux plus. Heureusement, un coureur que j’avais doublé plusieurs fois s’arrête à côté de moi et me dis « courage, plus que 7km avant le prochain ravitaillement, tu as fais le plus dur ». Il m’a redonné le moral celui là ! Merci, je repars de plus belle et le double. J’arrive au dernier ravitaillement, celui des 40 km. Je suis motivé comme jamais mais là, je commets une nouvelle erreur, j’absorbe un quart de verre de boisson vitaminée. En quelques secondes je me sens très mal, je ne peux plus tenir debout. Je vais voir les pompiers qui sont obligés de m’allonger et de me mettre une couverture de survie. On me prend le pouls, la tension, on m’interroge. La position couchée me fait un bien fou mais j’ai envie de m’endormir je ne peux pas rester là, pas à 10km de l’arrivée ! Je demande à repartir et les infirmiers semblent OK. J’ai très froid désormais, mes fringues sont mouillées, mes baskets sont trempées, il doit faire 4° mais je suis si près du but. J’ai quand même perdu 30 minutes à ce point étape. Je repars en marchant pour ces fameux derniers 10 km. Que c’est dur, chaque pas est une souffrance, je n’arrive plus à courir. Mais heureusement tout passe et au fil des mètres je me remotive et recommence à trottiner. Je vois enfin la Tour Eiffel qui se dessine, la ligne d’arrivée ne doit pas être loin. L’heure tourne et les derniers kilomètres sont horribles. Interminables. Pour couronner le tout, l’organisation ne nous fait évidemment pas courir en ligne droite, il faut sans cesse faire des détours et emprunter les escaliers. Enfin, c’est le dernier virage et je vois l’arrivée, telle une délivrance. Je me remets à courir et au bout de 6h40 de course je passe enfin la ligne et prends fièrement mon maillot « finisher ». Alors, maintenant que j’ai fait un trail Long, puis-je considérer les épreuves d’endurance comme un sport extrême ? Evidemment, il y a des similitudes. Les épreuves d’endurance se déroulent en terrain naturel, souvent en montagne et on pratique donc dans le même cadre que les sports outdoors. Mais au niveau des sensations, non. Car la pratique des sports extrêmes supposent en général un plaisir immédiat et des sensations fortes, dévaler une piste, prendre une vague, sauter en parachute… et là, on ne peut pas parler de plaisir et surtout pas immédiat. Le plaisir vient après la ligne d’arrivée. On est satisfait et heureux d’avoir atteint son objectif. Cependant, on peut sans problème parler de dépassement de soi, comme dans les sports extrêmes. Ici, il ne s’agit pas de surpasser sa peur du vide ou de réaliser un tricks jamais tenté, mais il faut se dépasser et repousser ses limites. Dans l’idéal il faut que le corps puisse aller aussi loin que sa volonté l’exige. En revanche il y a un point commun avec les sports extrêmes, c’est l’inconnu. L’inconnu fait partie intégrante de l’action sport et c’est pour cela qu’on assiste perpétuellement à des premières (plus grosse vague surfée, record de vitesse, multiplication des flips…) et quand on pratique les trails longs et l’ultra trail, l’inconnu c’est soi même. Jusqu’où peut on aller, jusqu’où nos jambes vont elles nous porter, aura t-on le mental pour se relever des aléas de la course? Ce sont des questions personnelles que l’on se pose aussi quand on est pratiquant de sports extrêmes. Au final, je suis heureux d’avoir vécu cette expérience et je suis désormais plus qu’admiratif des coureurs qui se lancent dans les vraies épreuves d’ultra trail comme l’ultra trail du Mont Blanc ou la Diagonale des fous. Ici, on ne parle pas de 50 km mais de plus de 160 km en pleine montagne avec plus de 10km de dénivelés. Pour moi, ces sportifs sont plus qu’extrêmes, ce sont des héros. John P