« Intégrer le Freeride World Tour d’ici un ou deux ans »



Un globe de cristal, un titre de vice-championne du monde et quatre médailles aux X Games. Après 15 ans de halfpipe, Anaïs Caradeux se lance dans le backcountry. Rencontre avec la skieuse de La Clusaz.

C’est sur sa page Instagram qu’Anaïs Caradeux partage les épisodes de sa web-série intitulée « Backcountry 101 ». De passage à Paris, l’ancienne skieuse professionnelle revient pour nous sur sa carrière, l’évolution du halfpipe, la place des femmes dans le monde du ski et sur ses différents projets.

Comment as-tu découvert le halpipe ?

Mes parents ont déménagé à Annecy quand j’avais sept ans. J’ai commencé par le patinage artistique… Avec mes potes ont montait souvent le week-end à La Clusaz. Et puis un jour j’ai dit à mon père « Tiens j’ai fait mon premier 900, je vais essayer mon premier backflip demain ». Il m’a dit de me calmer, qu’on allait trouver un coach. Il est allé voir l’entraîneur de La Clusaz qui m’a pris dans le club.

L’hiver d’après il m’a emmené pour ouvrir la coupe du monde. Je ne concourrais pas mais je faisais juste le premier run. Ils ont donné l’autorisation à un garçon qui avait aussi 15 ans (il faut avoir 16 ans minimum en coupe du monde) de rentrer dans la compétition. Mon coach a alors dit « si un mec à le droit pourquoi pas Anaïs ? ». Ils m’ont laissé concourir aussi et j’ai gagné la coupe du monde. De là tout est allé très vite avec les premiers sponsors. J’ai été invitée l’hiver d’après à l’US Open. J’ai commencé à rentrer dans le circuit pro à 16 ans.

Tu as décidé de prendre ta retraite à 28 ans. Qu’est-ce qui t’a poussé à prendre cette décision ?

Tout d’abord il y a les blessures. En quatre ans j’ai eu quatre opérations au genou. Au bout d’un moment je me suis demandé si ça valait vraiment le coup. Et puis toutes mes copines avaient pris leur retraite. J’étais un peu toute seule en haut du pipe avec des têtes nouvelles que je ne connaissais pas. Mais aussi plus de sponsors donc c’était compliqué de continuer. Et puis j’avais aussi envie de découvrir autre chose, de me lancer des nouveaux challenges et de retrouver la passion du ski.

Jusqu’ici, quel est ton plus beau et ton pire souvenir en ski ?

Le plus beau souvenir en ski c’est surement ma première médaille aux X Games en 2010. C’était la consécration pour moi d’être sur le podium avec mes idoles en France à Tignes.

Le pire ce sont les deux JO. Les premiers Jeux olympiques (Sotchi 2014), j’y vais en me disant que je peux faire un podium. J’ai une réelle chance de faire un très bon résultat. Mais je tombe. Je me fais une commotion cérébrale et je n’ai pas le droit de faire la finale.

Les deuxièmes JO à Pyeongchang en 2018, j’y vais pour prendre ma revanche (voir son run de qualification ci-dessous). Je me rends compte aujourd’hui que ce n’était pas le bon état d’esprit. J’avais ruminé pendant quatre ans cette expérience négative. J’ai appris par la suite que de penser de la sorte, ce n’était pas la bonne méthode pour sortir les plus beaux runs de ma carrière.

Ça a été des expériences mitigées parce que c’était une grosse déception mais en même temps une grande fierté d’avoir pu arriver à ce niveau-là.

La compétition te manque-t-elle parfois ?

Je n’ai pas de regrets mais c’est vrai que j’adore la compétition. J’en ai toujours fait dans tous les sports que j’ai pratiqués. C’est en compétition que j’arrive à sortir le meilleur de moi-même. Ça fait partie de moi et je pense que j’y reviendrai sous une forme différente. Mais d’un côté je suis contente de faire une pause.

Cela fait un peu plus d’un an que tu as annoncé la fin de ta carrière. Que s’est-il passait entre ce moment et le début de ta série ? 

Après avoir décidé d’arrêter la compétition, Ahmet Dadali, un ami, m’a pris sous son aile. Il m’a proposé de rider avec lui. Il faisait un « Eurovan Trip » où il m’a emmené skier en Suisse et à Chamonix. Aller rider un peu partout, apprendre à faire du freeride, du backcountry. C’était un peu le déclic pour moi. Je me suis dit « Ça me plaît, je ne connais rien là-dedans, j’ai envie de découvrir cet aspect du ski ». Ça a été l’élément déclencheur pour faire la série.

Quand je pars, je suis toute seule avec ma Gopro. Je vais à la rencontre d’anciens riders freestyle qui font du freeride maintenant. Ils m’apprennent les « rouages » du backcountry.

© Ugo Richard

Tu voyages beaucoup pour créer les épisodes. Comment gères-tu ton budget ?

J’ai donné des cours à l’ESF durant les vacances de février pour réussir à financer une partie des voyages. Le reste du budget, ce sont les économies de mes quinze années de compétition qui me permettent de faire une première saison et de lancer le projet.

Comment t’es venue l’idée de faire cette web série ? Pourquoi ce format ?

Je posais toujours plein de questions à mes potes. Je me suis aperçue que j’avais énormément à apprendre. Il y a des zones de freeride qui se sont développées dans certaines stations. C’est une nouvelle tendance qui émerge. Il y a peu, voire pas du tout de vidéo « tuto » inspirante pour se lancer dans cette pratique. Ça peut être intimidant quand on n’y connaît pas grand-chose. Il y a peu de recul sur ce sport. Je me suis dit que tant qu’à apprendre, autant que je transmette ça à mes followers et qu’ils apprennent en même temps.

On y apprend notamment à bien s’équiper, se former aux risques en montagne, appréhender les bonnes techniques en ski de randonnée ou en poudreuse. C’est d’abord pour ta formation personnelle mais aussi pour sensibiliser les autres ?

Exactement. Inspirer des nouvelles vocations, pousser à essayer des nouvelles choses. Dire que ce n’est pas si sorcier que ça. Il n’y a pas besoin d’être un grand rider pour y arriver. Il faut simplement s’entourer des bonnes personnes, participer aux bonnes formations sur les dangers en montagne. C’est en quelque sorte une promotion pour démystifier le freeride.

Pourquoi le nom de « Backcountry 101 » ?

One o one (101) en anglais ça correspond à un tuto. Ça peut se traduire par « de A à Z ». C’est quand tu apprends la base de n’importe quelle discipline.

À l’heure actuelle, quatre épisodes sont disponibles sur ta page Instagram. Le but est de découvrir le hors-piste petit à petit et de se former le mieux possible, c’est ça ?

Pour le premier épisode (voir ci-dessous) je suis allée à la rencontre de Jen Hudak avec qui j’ai concourue pendant des années. C’était un peu ma grande sœur dans le pipe. Elle s’est mise à faire du ski rando enceinte ! Je me suis dit que c’était un super sujet. Je voyais pas mal de filles en surf faire des vidéos d’elles enceintes. J’ai voulu montrer qu’en ski aussi on pouvait rider enceinte. Dans cet épisode on a parlé du matériel, des produits qu’il te faut pour débuter. On a comparé nos « matos ». Jen m’a donné quelques premiers conseils : comment faire un « kick turn », monter en côte… skier dans la trafolle (de la neige plus ou moins douce en poudreuse qui a été déjà skiée).

Dans ce premier épisode, on était à deux doigts d’être dans une avalanche. On allait sortir en hors-piste mais on a refait une piste. Un gars est sorti à peu près au même endroit où l’on voulait sortir et il y a eu une avalanche. Il a déclenché une avalanche et malheureusement il ne s’en est pas sorti. Je me suis rendu compte que c’est un milieu naturel qu’on ne maîtrise pas. C’est complétement différent du halfpipe. Il fallait que je me forme.

Donc pour le deuxième épisode (voir ci-dessous), je suis allée au Safety Shred Days, événement organisé par Victor Daviet.  C’est une journée de formation pour sensibiliser aux risques en montagne. Même si cette journée, c’est de l’entraînement, tu sens la pression. Il faut pratiquer et faire une journée ou un week-end de formation.

Le Safety Shred Days c’est une belle ambiance, ce n’est pas juste ultra formel. C’est orienté pour les riders qui veulent découvrir le backcountry. Victor s’est retrouvé plusieurs fois dans une avalanche. Il s’est dit qu’il ne pouvait pas promouvoir un sport sans offrir une formation qui soit adaptée aux personnes qui le suivent. En 2020, c’était la troisième édition et il y a maintenant une édition en suisse.

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Allez je vous emmène cette fois-ci à @arechesbeaufort pour les @safetyshreddays créés par @victordaviet. Lors de l’épisode précédent, j’ai eu une petite frayeur, ce qui m’a motivé à me former aux risques en montagne. Le but est de savoir évaluer au mieux les conditions et de faire un choix éclairé selon notre niveau. Je vous propose une petite immersion dans le monde du backcountry avec les conseils du grand guide @tonylamiche ! Cette vidéo n’est en aucun cas une substitution à une formation bien plus complète. This time I take you to France for @victordaviet event @safetyshreddays. During the last episode I sow someone get caught in an avalanche. It made me realize that I needed knowledge and training. The objective is to assess the conditions and chose wisely where and when to go depending on our riding skills. @tonylamiche a well respected guide will give us some tips and tricks. This video is in no regard a substitute to a safety training cours much more complet. #avalanchedog #avalancheawareness #avalanches #avalanche #safetyshreddays #avalanchesafety #avalancheeducation #mountain #beacon #avalanchecourse #backcountry101 #igtv #igtvchannel #igtvcreator #igtvseries #talm #tsl #tuto

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Il y a un mois je suis revenue du Canada où j’ai tourné le troisième et le quatrième épisode. Dans l’épisode 3, je vais à la rencontre d’Anna Segal avec qui j’étais en colocation pendant des années. Elle faisait du slopestyle. Aujourd’hui elle est chez North Face et elle a réalisé un film avec sa sœur intitulé « Finding the Line » où elle parle de la peur, de l’appréhension de cette peur et de la gestion de ces émotions. C’est un très beau film.

Je suis allée la voir au Canada et elle m’a emmenée faire du ski rando, on a dormi dans un refuge, elle m’a appris à gérer l’effort physique. Ce n’était pas facile pour moi. Je me suis rendue compte que je n’avais pas du tout le bon matos pour faire des grandes sorties.

L’épisode 4 (voir ci-dessous), c’est un épisode bonus parce qu’il n’était pas prévu. Je vois une photo de Victor (Daviet) sur les réseaux sociaux et je lui écris en lui disant qu’on est à cinq minutes l’un de l’autre ! Le lendemain on est allés faire de la motoneige ensemble. Quand tu skies tu vois toujours les pisteurs assis sur leur grosse Harley qui montent sur les pistes bien damées.

Je m’imaginais que ça allait être tranquille mais c’est ultra physique. J’ai eu des ampoules sur les mains pendant au moins une semaine après. Mes chaussures de ski étaient trempées. C’était la pire et la meilleure journée de ce trip. Galère mais génial. J’étais à deux doigts de pleurer et Victor essayait de me calmer. Après sept heures de motoneige je n’en pouvais plus !

Combien y’aura-t-il d’épisodes au final ? Quelles sont tes prochaines destinations ?

En ce moment je travaille sur l’épisode 5 dans lequel je suis encore au Canada avec Enak (Gavaggio). J’aimerai bien réaliser un épisode à Chamonix pour apprendre comment construire des kickers en backcountry. Je veux vraiment évoluer étape par étape au fil des épisodes.

Comment juges-tu l’évolution du halpipe ?

Le niveau augmente ! C’est toujours cool de voir les filles faire des nouvelles figures et monter de plus en plus haut. Malheureusement, en France le halfpipe n’a pas trop suivi. À l’époque les pipes faisaient 5,30 mètres et l’on n’exigeait pas un niveau de professionnalisme pour les shapers. Avant, on construisait un pipe à la pelle et ça passait. Quand les nouvelles normes sont sorties pour les coupes du monde, il fallait que le pipe fasse 7,20 mètres. Il y avait un gros investissement à faire de la part des stations. Il y a eu de moins en moins de pipes en France et par conséquent de moins en moins de riders en halpipe, faute d’infrastructures. Il n’y a pas de nouvelle génération de riders en France, c’est dommage.

C’est un sport qui devient de plus en plus cher parce que les pipes sont privatisés. Si tu veux aller t’entrainer à Copper Mountain (Colorado) et que tu ne veux pas rider un pipe en fin de journée, tu dois payer. C’est ce qui me désole un peu. Le halfpipe est devenu encore plus élitiste. Il faut que tu aies les moyens de voyager pour rider les pipes : payer le forfait, les billets d’avion, le logement, la nourriture et en plus l’entrée du pipe.

Si tu n’es pas accompagnée par une fédération ou des sponsors ça devient compliqué. C’est un peu le revers de la médaille de l’évolution et du professionnalisme que l’on a développés dans ce sport. Il faudrait peut-être revenir à des pipes plus fun, des mini-pipes. On essaye d’amener des slopestyleurs dans le pipe pour redynamiser la discipline.

Quel est ton avis sur la place des femmes dans le halfpipe et dans le ski en général ? 

Quand j’ai commencé le halfpipe, j’étais la seule fille du club. Les mecs m’ont traité comme un mec. C’était de l’amour vache, ils m’ont forgé un caractère à toutes épreuves. Dans les compétitions on a observé une évolution avec l’« equal pay ». Aux X Games on a poussé pour avoir les mêmes « prize money » que les gars. En coupe du monde aussi. Le show n’est pas le même, mais pour s’entraîner ce sont les mêmes coûts. On ne te fait pas -30% sur ton billet d’avion ou l’hôtel parce que tu es une femme.

L’investissement personnel est aussi important que pour un mec. Ça fait plaisir de voir que ça évolue. Il manque encore une plus grande visibilité auprès du grand public. Je pense que cela peut permettre de démocratiser le sport. Avant on envoyait les filles dans des conditions pas possibles. Avec du vent et « vas-y débrouille-toi ». Les garçons sont meilleurs que nous, qu’ils aillent dans les conditions pourries !

Il y avait autant de femmes que d’hommes qui entraient en coupe du monde mais au final, il y avait 12 garçons et 6 filles. C’était plus dur pour les filles de rentrer en finale que pour un garçon. On a demandé les mêmes quotas. Les premières générations, on a été le fer de lance pour ouvrir des portes. Ça a toujours été comme ça. On a eu la chance d’avoir Sarah Burke qui a fait un travail de malade. On est olympique grâce à elle notamment. Je me suis aussi battue pendant quelques années, maintenant je laisse la place aux nouvelles. À elles de continuer notre travail.

Quelles sont les différences de sensations entre halfpipe et backcountry ?

Le plaisir est totalement différent. Quand tu rides en hors-piste, c’est le silence. Quand tu es dans le pipe c’est très bruyant. Il faut apprendre à se détendre. Retrouver un rythme qui te permet de faire des belles courbes. Au début tu as un peu envie de te battre avec la neige. Sauter en backcountry et en halfpipe ça n’a rien à voir.

Pour moi, le plaisir du ski a toujours été dans l’évolution. Dans mon désir d’être toujours meilleure. Dans le pipe, je ne voyais plus d’évolution. J’avais atteint mon niveau max. En backcountry, j’ai encore tout à apprendre et c’est génial. J’ai commencé à faire du surf il y deux ou trois ans et j’adore. Quand tu vois ta progression après une semaine, ça te motive. C’est ce qui m’intéresse dans le backcountry. De me voir progresser tous les jours.

© Ugo Richard

Quels sont tes projets pour la suite ? Tu vas continuer à produire des contenus vidéo ?

La saison 1 de la web arrive à son terme. J’aimerai faire une deuxième, troisième, quatrième saison. Il y a énormément de sujets que je n’ai pas encore abordés. D’ici un ou deux ans, l’objectif c’est de rentrer sur le Freeride World Tour. J’ai envie d’y aller en me disant que j’ai une réelle chance. Je ne veux pas me ridiculiser ! Je préfère prendre le temps pour apprendre et progresser. Je peux aussi capitaliser sur mes années de halfpipe. J’ai des compétences techniques au niveau des sauts. Mais il faut encore que j’évolue dans le ski. Je me donne l’hiver prochain pour me perfectionner.

Je vais continuer à faire de la vidéo mais il faut que je trouve des sponsors. Les économies c’est bien beau mais ça fond comme neige au soleil ! Je continuerai à enseigner à coté pour financer une partie de mes activités. L’objectif est de trouver des partenaires qui soient intéressés par mon projet et qui puissent me permettent de faire de belles images.

Interview réalisée par Etienne Dorin